Depuis un mois, le puissant syndicat allemand de la métallugie, IG Metall, plaide pour la semaine de quatre jours au lieu de cinq, assortie d'une réduction du temps de travail à 32h. Partout en Europe, l'idée fait son chemin. En France, 10.000 salarié.es seraient passés à la semaine de quatre jours. Correctement appliquée, cette mesure peut être vectrice de progrès social et écologique. On vous explique les écueils à éviter et les principaux arguments en faveur de son application:
- La semaine de 4 jours et pas la semaine en 4 jours
Pour une semaine de quatre jours réellement bénéfique aux salarié.es, il est nécessaire de la coupler avec une réduction du temps de travail, en créant la semaine de 32 heures par semaine, afin de ne pas intensifier le travail. Sans cette double logique, les salarié.es devront faire en quatre jours ce qu'ils faisaient auparavant en cinq jours, et voir leurs journées de travail allongées de deux heures par jour. Cette compression du temps de travail peut entraîner "fatigue accrue, débordement de l’activité de travail dans la sphère privée, baisses de vigilance, et donc de risque d’accident", observe l'institut national de recherche et de sécurité (INRS).
Pour les cadres et les professions intellectuelles, la semaine de quatre jours pose d'autres enjeux comme le droit à la déconnexion. Pour une réduction du temps de travail opérante, les salarié.es doivent avoir le droit de ne pas être sollicités par leurs supérieur.es sur leurs jours de congé. La semaine de quatre jours ne doit pas non plus être un prétexte pour les directions pour réduire les RTT ou les congés payés.
Pour les ouvrier.es, la difficulté tient à l'organisation de la production, de nombreuses entreprises ayant besoin de maintenir la production cinq jours sur sept. Le semaine de quatre jours demande d'importantes modifications organisationnelles, des roulements au sein des équipes afin d'assurer la continuité de la production. Certaines boîtes l'ont réalisé avec succès, comme Dehimi industrie, qui fabrique des pièces mécaniques pour le naval, les machines agricoles ou encore l’automobile près de Brest. Initialement opposée au passage à quatre jours, la direction s'en montre finalement satisfaite depuis qu'elle a constaté des gains de productivité et un chiffre d’affaires passé de 8,5 à plus de 10 millions d’euros en six mois.
- Réduire le temps de travail pour réduire notre empreinte environnementale
Réduire le temps de travail permettrait très probablement d’abaisser les émissions de gaz à effets de serre. En 2021, un rapport de l’association 4 Day Week Global a estimé que le passage à la semaine de quatre jours réduirait l’empreinte carbone du Royaume-Uni de 127 millions de tonnes par an à l’horizon 2025, soit une diminution de 21,3 %. De son côté, l'Ademe a calculé qu’une journée de télétravail hebdomadaire entraînait une baisse des émissions de 271 kilos de CO2 par an et par salarié.e, sans prise en compte d’éventuels effets rebonds : un travailleur qui, sur son jour non travaillé, prendrait quand même sa voiture pour aller au centre commercial, emmener ses enfants à l'école ou prendre un jet privé direction Casablanca.
- Favoriser l'engagement citoyen et associatif des salarié.es
Aujourd'hui, neuf millions de personnes en France déclarent apporter une aide à un.e proche en perte d'autonomie. La semaine de quatre jours pourrait permettre à tous ces "aidant.es" de consacrer davantage de temps à ce travail du care, pas comptabilisé dans le calcul du PIB mais pourtant indispensable au fonctionnement de notre société. La réduction du temps de travail pourrait aussi avoir des effets bénéfiques sur l'égalité entre les femmes et les hommes. 30% des salariées sont aujourd'hui à temps partiel, contre 8% chez les hommes. Les femmes gagnent moins et ont encore trop souvent à leur charge exclusive la garde des enfants et les tâches ménagères. Passer à quatre jours par semaine pourrait rééquilibrer ces inégalités salariales et sociales. Un jour de temps libre en plus, ce serait aussi la possibilité pour toutes et tous de s'engager dans une association, de s'enrichir personnellement en dehors du travail et d'aider les autres. Pour favoriser ça, certaines entreprises proposent du mécénat de compétences à leurs salariés, autrement dit des heures que l'entreprise finance pour les salarié.es désireux de s'investir dans une association.
- Un argument pour convaincre les directions
Passer à la semaine à quatre jours pourrait être une solution pour «les secteurs ayant des difficultés à devenir plus attractifs». Ce n'est pas le Printemps écologique qui le dit mais le Commissaire européen à l'emploi, Nicolas Schmit. De l'avis des services ressources humaines ou la semaine de quatre jours est devenue la norme, cette disposition est maintenant un argument de poids pour attirer de nouveaux salarié.es, désireux de trouver un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle.
Pour le moment, aucune loi n'existe sur le sujet en France, sur le modèle des lois Aubry sur les 35 heures. Le passage à la semaine de quatre jours relève uniquement des négociations d'entreprise sur le temps de travail.
- Où en est-on?
En France, environ 10.000 salarié.es seraient passés à la semaine de quatre jours, selon le ministère du travail. La fonction publique et territoriale s'y met peu à peu. La métropole de Lyon a lancé en septembre une expérimentation d'un an en proposant à ses agent.es volontaires d'adopter la semaine de quatre jours. D'autres expérimentations sont en cours au sein de l'Urssaf ou de la Caisse des dépôts et consignations. Côté privé, LDLC, grosse entreprise de vente de high-tech et de matériel informatique est une des premières à s'être lancée dans la semaine de quatre jours, en 2021. D'autres ont suivi, comme Elmy, un fournisseur d'électricité verte, ou Welcome to the jungle, une plateforme dédiée à l'emploi. Plus récemment le cabinet de conseil KPMG a créé une semaine de quatre jours parentale pour ses salarié.es en couple.
Ailleurs en Europe, de nombreux pays comme le Royaume-Uni, la Belgique ou le Portugal se mettent à la semaine de quatre jours, inspirés par l'exemple islandais. Entre 2015 et 2019, le petit pays insulaire a vu 1% de sa population active passer de 40 à 35 heures. Aujourd'hui 90% de la population active islandaise a réduit son temps de travail ou a négocié un aménagement.
POUR APPROFONDIR LE SUJET :
- The environmental benefits of a shorter working week. Un rapport d’évaluation de l’ONG britannique Stop the clock
- Semaine de quatre jours : le temps du monde d’après. Note de travail de l’Institut Rousseau:
https://institut-rousseau.fr/semaine-de-quatre-jours-le-temps-du-monde-dapres/
- Faut-il travailler moins pour travailler mieux? Documentaire Arte:
- Le travail dans un monde post-croissance. Interview de Dominique Méda