Le 16 avril dernier, l’assemblée générale de Stellantis approuvait, à 70% des voix, les 36,5 millions d’euros de rémunération annuelle de Carlos Tavarès. Le patron du constructeur automobile gagne désormais en un jour ce que touche en moyenne un·e salarié·e en un an.
Les actionnaires de Stellantis ont justifié cette rémunération exorbitante par les performances financières du groupe, dont la valeur boursière a doublé depuis 2021. En même temps, le groupe annonce la suppression de 600 emplois en Alsace et la CGT craint la suppression de 900 autres à l’usine Stellantis de Metz-Borny.
Des écarts salariaux qui progressent en continu
En France, le salaire moyen des patrons du CAC 40 atteint en moyenne 250 fois le salaire des employé·es les moins qualifiés de leurs entreprises respectives. En élargissant aux 100 plus grandes entreprises françaises, ce ratio est passé de 64 à 97 entre 2011 et 2021.
Ces écarts de rémunération aberrants n’ont fait qu’augmenter ces quarante dernières années. “En France, à la fin des années 1970, le rapport moyen entre le salaire ouvrier et la rémunération des dirigeants des grandes entreprises (hors stock-options et attributions gratuites d’actions) était de l’ordre de 1 à 40", constate l’économiste Frédéric Teulon.
N’en déplaise à Emmanuel Macron, les smicards ne préfèrent pas “des abonnements VOD plutôt qu'une alimentation plus saine”. Il ne s’agit pas d’une question de goûts personnels mais d’une inégalité fondamentale dans le partage de la valeur économique. Tandis que les dirigeants des grandes entreprises et les cadres supérieurs empochent des salaires mirobolants, des primes d’intéressement et des stocks options, la France n’a jamais connu autant de travailleurs bloqués au Smic, à cause de l’inflation qui grignote les bas salaires pas assez revalorisés.
Rémunérer le travail réel plutôt qu'un actionnariat climaticide
Tandis que les classes aisées ont une empreinte carbone déraisonnable - les 1% les plus riches émettent en moyenne dix fois plus de CO2 par an que la moitié la plus pauvre des Français - les travailleur·euses les moins bien payés peinent à s’offrir une alimentation de qualité. Tandis que les plus riches se jettent à corps perdus dans une consommation ostentatoire, les salarié·es les plus mal payés n’arrivent pas à financer la rénovation thermique de leurs logements. Il n’y aura pas d”écologie populaire s’il n’y a pas de rééquilibrage de la valeur entre les actionnaires et les plus bas salaires.
Les entreprises doivent arrêter de rémunérer leurs cadres dirigeants les yeux rivés sur des cours boursiers climaticides. Elles devraient plutôt se concentrer sur la rémunération du travail réel, tout en décorrélant les primes d’intéressement des performances financières pour les connecter à des indicateurs socio-écologiques.
"Il y a une dimension contractuelle entre l'entreprise et moi. Comme pour un joueur de foot et un pilote de formule 1, il y a un contrat", a expliqué Carlos Tavarès dans les médias pour justifier sa rémunération astronomique. Comme si sa performance, son intelligence valait 356 millions par an. Ce mythe néo-libéral est faux. Les salaires des dirigeant·es du Cac 40 ne sont pas la preuve de leur stratégie économique mais de leur capacité à dégager de la rentabilité financière pour les actionnaires.
1 à 20 ou 1 à 10?
Ces salaires récompensent des “situations de collusion de fait entre les représentants des actionnaires et les dirigeants. Les seconds étant sur-rémunérés en échange d'une politique d'entreprise qui favorise le cours en bourse à court terme de l'entreprise, au prix, souvent, de toute perspective de développement entrepreneurial de long terme”, analysent l’économiste Gaël Giraud et la philosophe Cécile Renouard, dans une note de la Fondation pour la nature et l’homme.
La disparition progressive d’un actionnariat familial de long terme au profit de logiques néo-libérales à partir des années 1980 explique ces écarts de salaires abyssaux. Ces salaires mirobolants sont le symptôme d’une économie climaticide qui privilégie le rendement pour les actionnaires à des politiques économiques de long terme prenant en compte la nécessaire redirection écologique des appareils de production.
1 à 20, 1 à 12, 1 à 10… On peut discuter des ratios mais il est urgent de limiter les écarts de rémunération au sein des entreprises. Inspirons-nous des “entreprises solidaires d’utilité sociale”, au sein desquelles les salaires des cinq salarié·es les mieux payés ne doivent pas dépasser sept fois le Smic. D’autres boîtes publiques, comme EDF ou La Poste ont quant à elles décidé de mettre en place un plafond de rémunération à 450.000 euros maximum par an.
Davantage de transparence sur les salaires constitue aussi une piste intéressante. Ca peut passer par la publication des grilles de salaire, voir des salaires de tous les salarié.es. Des entreprises le font déjà, comme Lucca, un éditeur de logiciels, ou chacun peut consulter le salaire de ses collègues via un logiciel interne.