Début mars, la cellule investigation de France Info révélait qu’EDF travaillait sur un projet de centrale hydroélectrique à Neom, la ville-immeuble de 170 km de long complètement hors-sol que l’Arabie Saoudite veut construire en plein désert.
Une partie des salarié·es est vent debout contre la direction, et se montre plus que réticente à travailler sur ce projet climaticide. Dans un communiqué de presse du 4 mars, FO Energie appelle à la création d’un “droit de retrait environnemental et éthique” dans les grandes entreprises. Il s’agit d’une revendication fondatrice du Printemps écologique. Concrètement, voilà comment elle pourrait être mise en place:
S’inspirer de la clause de conscience des cadres dirigeants
Lorsqu’un média change d’actionnaire et risque de changer de ligne éditoriale, les journalistes de la rédaction peuvent faire jouer leur “clause de conscience”, et démissionner en bénéficiant de l’assurance-chômage.
Dans un autre genre, certains professionnels de santé peuvent aussi invoquer cette “clause de conscience”, pour refuser de pratiquer un acte médical contraire à leurs convictions personnelles (sédation profonde pour les personnes en fin de vie, recherches sur l’embryon…).
Dans les deux cas, il s’agit de dispositions légales, inscrites dans la loi : loi de 1935 sur le statut de journaliste professionnel pour le premier cas et code de la santé publique pour le second.
En 2011, un arrêt de la Cour de cassation a élargi cette possibilité aux cadres dirigeants, suite à la plainte d’une ancienne cadre de chez Havas, qui demandait le bénéfice de cette clause suite à la prise de contrôle de son entreprise par Bolloré.
Une définition contractuelle et collective des projets climaticides
Sans aller jusqu’à la démission, on pourrait également imaginer un “droit de retrait écologique et éthique”, qui permettrait à un·e salarié·e de ne pas travailler sur tel ou tel projet s’il n’est pas conforme à des minima écologiques et sociaux définis collectivement par l’employeur et le salarié au moment de la signature du contrat de travail.
Dès 2007, au moment des négociations sur le contrat unique et la sécurisation des parcours professionnels, la CFE-CGC proposait pour les cadres la possibilité de “suspendre temporairement l'exécution des actes concernés et de faire trancher la question par un conseil de prud'hommes au moyen d'une procédure accélérée ». Nous sommes aligné·es sur cette position qui est loin d’avoir perdue de son actualité face à l’urgence écologique.
Les conventions collectives négociées au niveau des branches professionnelles, pourraient aussi définir les modalités de ce “droit de retrait écologique”, dans les cas où l'employeur demande à un.e salarié.e de travailler sur des projets contraires à la stratégie bas-carbone, et/ou aux engagements RSE de l’entreprise.
Une disposition complémentaire au statut de salarié·e lanceur d’alerte
Depuis 2016 et la loi Sapin 2, les salarié·es qui alertent leurs directions sur “des produits ou des procédés de fabrication qui font peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement” bénéficient d’un statut de “lanceur d’alerte”, et ne peuvent être pas licencié·es, ni tenu·es pour responsables des conséquences économiques de leurs signalements.
Mais ce texte ne prévoit pas la possibilité pour les salarié·es de l’entreprise de cesser le travail une fois l’alerte donnée. Cette protection des lanceurs d’alerte devrait être assortie d'un droit d'opposition individuel, qui reste à créer. Une fois l’alerte donnée, si la direction ne fait rien pour résoudre le problème, les salarié·es devraient pouvoir suspendre temporairement l'exécution de leurs tâches liées au produit ou au process de production concerné.
Une demande sociale de plus en plus forte
En octobre dernier, un sondage d’Harris pour le journal Le Monde montrait que près de 70 % des jeunes de 18 à 30 ans étaient prêts à renoncer à postuler dans des entreprises qui ne prennent pas en compte les enjeux écologiques. De larges franges des générations nées dans les années 1990 ou après refusent de mettre leur force de travail au service d’activités climaticides.
La fondation en 2018 du collectif Pour un réveil écologique, rassemblant des étudiant· es qui dénonçaient alors un système qui “oriente vers des postes qui nous enferment dans des contradictions quotidiennes”, a largement contribué à médiatiser cette nouvelle vague de conscientisation, tout comme le discours des déserteurs d’AgroParisTech en 2022.
Pour continuer à attirer les jeunes travailleur·ses, les entreprises n’auront peut-être bientôt plus le choix que d’insérer dans leur politique RH de telles “clauses de conscience écologique et éthique” ou d'en prévoir la possibilité dans les conventions collectives.